Bonjour Mr Mick,
Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs s’il vous plait ?
Bonjour ! Mon nom c’est Matt Mick et j’habite à Lafayette, ville qui se trouve à 2 heures de route à l’ouest de la Nouvelle-Orléans, et connue comme « capitale » de la région d’Acadiana, au sud-ouest de la Louisiane. Né en Floride dans une famille « américaine » (en Louisiane, ce mot a la connotation de « non-francophone »), je vis en Louisiane depuis l’âge de 10 ans et je la considère bien mon chez moi.
Vous êtes Chargé de Communication du CODOFIL, l’Agence des Affaires Francophones de Louisiane. Pouvez-vous expliquer aux Français ce qu’est le CODOFIL et quelles sont vos missions ?
Le but du CODOFIL est de maintenir et de promouvoir l’usage de la langue française en Louisiane, une langue parlée ici par beaucoup de divers groupes depuis plus de 300 ans. Une agence publique, le CODOFIL a été créée en 1968 par la législature louisianaise. A cette époque, on constatait une perte du français comme langue maternelle en Louisiane, le résultat du processus d’américanisation qui s’est produit un peu partout aux Etats-Unis pendant le XXème siècle. Aujourd’hui, on estime que 5 % à 10 % de la population de la Louisiane parle français – beaucoup moins de locuteurs qu’il y a une ou deux générations, mais on constate de nos jours une grande fierté d’être francophone, et peut-être même une petite augmentation dans la population francophone. Une toute nouvelle génération !
Quels sont les différents moyens d’action du CODOFIL pour entretenir l’usage de la langue française en Louisiane ?
Depuis sa création, le CODOFIL est très axé sur l’éducation comme moyen de maintenir la présence du français en Louisiane. Dès les années 1980, des écoles d’immersion française fonctionnent comme un outil pour intégrer à nouveau le français chez les jeunes. Fait remarquable vu qu’en 1921, l’Etat a obligé l’anglais comme langue de scolarisation et les petits se sont faits punir pour parler le français à l’école.
Le CODOFIL gère aussi un dossier de bourses pour faire voyager des louisianais qui souhaiteraient s’immerger dans d’autres cultures francophones et apprendre ou peaufiner leur français. Pour tout ce qui est « éducation », on est très reconnaissant de l’aide et de la collaboration offertes par nos partenaires à l’international, notamment la France.
Toujours avec le but d’appuyer et d’augmenter les communautés francophones de la Louisiane, le CODOFIL s’engage aussi dans les domaines du développement communautaire, des relations internationales et du développement économique.
Est-ce que les visiteurs peuvent y participer lors de leur séjour ?
Tout à fait ! Je me permets d’abord de prévenir nos amis francophones venant d’ailleurs que, malgré le fait que le français est bel et bien vivant en Louisiane, on ne prétend pas qu’il soit parlé dans les rues comme à Paris. A cause de l’histoire compliquée de la langue française en Louisiane et de son statut minoritaire, elle a parfois tendance à se cacher un peu. Vous pouvez tout de même rencontrer un francophone louisianais avec un peu d’effort – il faut simplement creuser un tout petit peu.
Ceci dit, un très bon point de départ à la découverte de la francophonie louisianaise : les tables françaises ! Ces rassemblements communautaires sont des groupes de conversation avec le simple but d’échanger en français. On trouve ces tables partout dans l’Etat sous une variété de formats : tôt le matin avec un café, autour d’un repas à l’heure du déjeuner, ou peut-être même un 5 à 7 dans un bar. Le CODOFIL a répertorié toutes ces tables sur notre site web. Je vous encourage fortement à consulter notre liste et à participer à une table – vous serez très bien accueillis.
Astuce bonus : dans les commerces, osez commencer vos conversations avec un simple « bonjour » au lieu de « hello » – on ne sait jamais où on va trouver du français en Louisiane. Dans le cadre de notre travail en développement communautaire et économique, le CODOFIL a aussi répertorié des entreprises qui peuvent fournir des services en français.
Selon vous, pourquoi est-il primordial de conserver l’héritage de la culture et de la langue française en Louisiane ?
La langue française en Louisiane est comme un vieux chêne : sa longue histoire nous enracine profondément, mais elle a aussi de grandes branches qui s’étendent vers le monde et l’avenir. Cette langue reste une très grande partie de notre culture si riche. Elle nous présente également un lien vers le monde francophone et a beaucoup de potentiel pour l’avenir.
Tout comme un vieil arbre se nourrit d’eau, de terre et de soleil, nos langues d’héritage méritent des ressources et de l’énergie.
Les Louisianais, et Américains de manière générale, sont-ils désireux d’apprendre le français ?
Je dirais que oui. En tant qu’« Américain de naissance et Louisianais d’adoption », ça c’est bien mon histoire à moi. Quand je commençais à apprendre le français à l’âge de 14 ans, je rêvais de voyager et de voir le monde (particulièrement la France et sa gastronomie !). J’ai découvert au fur et à mesure que le français existe aussi ici chez nous-autres avec sa culture à lui. Il y a énormément de monde ici en Louisiane qui a de l’héritage francophone et les gens se sentent très attachés au français et à la culture francophone, même s’ils ne parlent pas couramment la langue. Tout cela veut dire que oui, particulièrement ici en Louisiane, on se dote d’une opinion très favorable de l’apprentissage du français ainsi qu’une forte volonté d’interagir avec les cultures francophones.
Le français louisianais est très lié aux cultures cadienne[1] et créole. Quels sont les meilleurs endroits en Louisiane pour profiter de ces cultures ?
La musique traditionnelle de la Louisiane est une excellente façon de connaître nos cultures patrimoniales. Bien appréciées comme porteurs de notre parler, les styles cadien1 et zarico[2] racontent des histoires de la vie d’ici au rythme de l’accordéon et du violon qui font danser leur public. Cette musique se produit prodigieusement dans le Sud de l’Etat et en particulier à Lafayette et ses alentours. Moment fort de l’année : les Festivals Acadiens et Créoles, un évènement qui a lieu chaque automne à Lafayette.
Et personnellement, quels sont vos endroits favoris dans l’Etat ? Pour quelles raisons ?
Pour un peu de plein air, il n’y a rien de mieux que le Bassin d’Atchafalaya, vaste marécage rempli de cyprès, d’oiseaux et bien sûr d’alligators. Beauté naturelle sans pareil, là où l’eau et la terre se rencontrent et se mélangent.
A la Nouvelle-Orléans, on trouve sur Frenchmen Street une surabondance d’excellente musique et une ambiance un peu plus équilibrée que le chahut de la fameuse rue Bourbon. Pour une soirée jazz : Snug Harbor Jazz Bistro, salle intime avec du talent garanti.
Poverty Point World Heritage Site, situé au coin nord-est de l’Etat, a été inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2014. A première vue, ce site archéologique ne semble être que quelques collines ; ces formations en terre sont en fait les traces d’une civilisation amérindienne qui date d’il y a 3000 ans. Du très bon contexte pour comprendre l’importance du fleuve Mississippi et les cultures qui se rassemblent sur ses berges depuis des millénaires.
La Louisiane est célèbre pour sa gastronomie riche et variée. Quels plats / spécialités sont issus de l’héritage francophone de l’Etat ?
Bien sûr, il ne faut pas manquer le fameux gombo[3] louisianais, célèbre mélange des influences africaines, européennes et amérindiennes. Je recommande également une spécialité moins connue mais tout aussi délicieuse, le boudin louisianais. A ne pas confondre avec le boudin de France, c’est une saucisse remplie de porc, de riz et d’épices. (Il existe aussi le boudin « noir » qui inclut du sang.) On dit que le meilleur boudin, c’est le boudin le plus près de chez toi. Pour ma part, je suis partisan de Johnson’s Boucanière, restaurant qui se trouve à deux pas du bureau du CODOFIL au centre-ville de Lafayette.
Avez-vous une anecdote amusante ou insolite à partager avec nos lecteurs francophones ?
Au lieu d’une anecdote, je vous partage quelques-unes de mes salutations louisianaises préférées. Cela vous donne une petite impression du caractère de notre parler et le sens d’humour des louisianais. Comme ça, vous pourrez un jour lancer une conversation en bon français louisianais et collectionner vos propres anecdotes !
Alors, au lieu de « comment ça va ? », essayez :
« Quoi ça dit ? »
« Comment les haricots ? »
« Comment ça se plume ? »
« Comment le cabri apporte sa queue ? »
« Comment ça se brasse ? »
Et si votre interlocuteur est de bonne humeur et va bien, il se peut qu’il vous réponde avec un clin d’œil et la réponse « Mieux que ça et les prêtres seraient jaloux » !
Enfin, qu’aimeriez-vous dire aux Français désireux de découvrir la Louisiane ?
Venez nous voir !
Merci beaucoup Matt !
[1] En français louisianais, orthographe préférée de l’anglicisme « cajun »
[2] En français louisianais, orthographe préférée de l’anglicisme « zydeco »
[3] En français louisianais, orthographe préférée de l’anglicisme « gumbo »